Réarticuler le développement urbain
Depuis le début de la pandémie, les territoires et les espaces publics sont remis en question. Un article paru récemment dans Azure Magazine propose une relecture du concept de densité urbaine sous la loupe de la pandémie. Dans cet article, Stefan Novakovic soulève les inquiétudes reliées à l’amalgame entre la densité urbaine et la vitesse de propagation d’un virus. L’auteur affirme ainsi que la résilience des villes se positionne justement dans cette densité urbaine qui favorise la mise en place d’infrastructures médicales, de communication et de transport permettant de réagir rapidement dans un contexte de crise sanitaire. Si ces ressources sont disponibles dans les villes, c’est parce que l’on y observe la circulation d’une forte densité d’individus et de capitaux et qu’une présence citoyenne dense, justifie les investissements dans des infrastructures permettant de répondre à des besoins en matière de santé publique, de transport collectif et actif et de vie culturelle.
À la lumière de l’article de Novakovic, devrions-nous plutôt interroger la capacité de nos organisations politiques à prendre les mesures nécessaires, et ce, rapidement pour mieux anticiper et/ou contrer une pandémie avant de mettre le tout sur le dos de la densité urbaine? Parce que oui, bien que les infrastructures de nos villes se veulent un service aux citoyennes et citoyens, elles sont souvent au cœur des débats politiques et des promesses électorales.
C’est ici que ça se corse: l’articulation entre les infrastructures urbaines et les domaines politiques et économiques freinent depuis trop longtemps leur lien avec le développement, le design et l’architecture. Peut-on encore se permettre une telle articulation, alors que les notions d’aménagement et d’espace sont au centre de ce que nous avons vécu à différents degrés: le confinement?
Cette réflexion sur les impacts de la densité urbaine, lancée par plusieurs médias aux États-Unis dont entre autres par le New York Times et le Washington Post, devrait susciter une vive inquiétude chez les designers, architectes et urbanistes qui sont actuellement appelé.e.s à repenser les grands centres urbains après la pandémie. Le discours médiatique s’enflamme sur la densité des villes comme étant une cible de choix dans le contexte actuel. Les conséquences de l’omniprésence de ce discours qui donne un nouveau souffle à l’étalement urbain pourraient être aussi désastreuses que la pandémie en soi, si l’on considère l’ampleur de la crise climatique, beaucoup plus sournoise, que nous traversons depuis les dernières années. Le pouvoir du discours médiatique d’une part joue un rôle important sur la population dans sa capacité à comprendre les enjeux sous-jacents au sensationnalisme de l’anxiété. Ce n’est donc pas surprenant d’observer une migration importante de gens des grands centres urbains vers les banlieues périphériques. L’appropriation de cette anxiété par le discours politique pourrait ainsi justifier la mise en place de politique se rapprochant dangereusement de l’étalement urbain. À titre d’exemple, le troisième lien entre la rive sud et la Ville de Québec prôné par l’administration Legault pourrait trouver appui auprès de la population de cette région qui verrait la mise en place de solutions alternatives de transport en commun comme étant anachronique à la situation de la crise sanitaire que nous traversons actuellement.
De l’espace transitoire à la ville transitoire
Alors que les parcs, les rues et les trottoirs ont été l’un des seuls espaces de socialisation pour les citoyennes et citoyens en temps de crise sanitaire, que pouvons-nous retirer de cette situation?
À Montréal, le développement exponentiel de certains quartiers de la ville tels que le périmètre du Quartier des spectacles, le Mile-end et Griffintown, a entraîné un embourgeoisement de ces secteurs et le foisonnement de projets immobiliers d’envergure. En parallèle, des places publiques et des installations artistiques éphémères ont poussé ici et là suivant les tendances internationales en matière de place making, d’espaces transitoires, de placottoirs urbains et etc. Les derniers efforts de valorisation des quartiers de l’est de l’Île de Montréal mis en place par tendent à géographiquement décentraliser les politiques et plans particuliers d’urbanisme dans la métropole. Et cette tendance doivent s’accélérer au cours des prochaines années si l’on souhaite promouvoir une vie de quartier et amplifier le localisme en matière de consommation, et ce, même dans les grands centres urbains.
Dans un contexte où l’on souhaiterait une prolifération des espaces verts, moins de densité et davantage de développement de projets en périphéries de la ville, le rôle des transports actifs et des transports en commun devient central, et ce, en considérant les quatre saisons telles que nous les traversons au Québec. Une randonnée de ski de fond de la Place des Festivals à la Promenade Bellerive? La Sainte-Catherine enfin piétonne à l’année? Oui! C’est par la prise en compte de toutes les formes possibles de circulation des individus et en n’en favorisant l’émancipation dans les prochaines politiques de développement urbain que l’on pourrait penser plus adéquatement le territoire urbain. Plus de vélo, de piétons, de tramway, d’autobus, de lignes de métro et plus de possibilités de transports actifs en hiver. On pourrait penser que de favoriser de meilleurs moyens de déplacement d’un quartier à l’autre éviterait un engorgement des principales lignes de transport en commun et stimulerait les microcosmes économiques à l’échelle des quartiers. Passer par le Mont-Royal en raquettes pour se rendre au travail? Prendre le petit déjeuner sur Fleury Ouest avant de descendre le premier axe complètement piéton du nord au sud et se rendre au Parc Jean-Drapeau? Oui! À l’heure actuelle, ces projets de développement ne devraient pas se retrouver au second plan, mais être considérés comme de véritables enjeux de santé publique aux impacts directs sur la qualité de vie des citoyens des grands centres urbains.
Ainsi, on pourrait penser qu’une meilleure articulation entre les enjeux reliés à la santé publique et les disciplines de l’urbanisme, du design et de l’architecture pourrait ouvrir de nouvelles voies de développement en matière de création et d’aménagement non plus d’espaces transitoires mais d’une ville complètement transitoire, en constante circulation, d’un quartier à l’autre, d’une place publique à l’autre, d’un événement à l’autre, d’un rassemblement à l’autre. Une ville aux multiples microcosmes économiques et culturels entre lesquels nous pourrons circuler plus facilement et plus librement. Pour y arriver, il faut reconstruire doucement.